La musique

Les neufs moines français qui fondèrent l’Abbaye de Keur Moussa en 1963 héritaient de la tradition du chant Grégorien, particulièrement vénéré et pratiqué par Solesmes, l’abbaye fondatrice. Keur Moussa resta fidèle à cet héritage, tout en s’ouvrant aux orientations données par le concile de Vatican II en cette année 1963. En matière de musique liturgique dans les pays de mission.

« On accordera aux traditions musicales locales, l’estime qui leur est due et la place convenable » (Const. lit n° 119)

Pour illustrer ce propos, et en avant-propos de cette section sur la musique, nous vous proposons de larges extraits d’une conférence prononcée par le frère Dominique à la communauté en septembre 2006 :

– « Le chant de Keur Moussa a une histoire qui surprend quand on en connaît les débuts. Vous en trouverez les détails dans le petit livre de Solesmes à Keur Moussa (Solesmes 2004), ce qui se dégage dès les premières années de la fondation qui ont coïncidé avec la fin du Concile, c’est le caractère d’improvisation totale de la part des responsables du chant à cette époque. Humainement, nous n’avions pas été formés à cette tâche, ni même à la musique, en dehors de la formation soignée, reçue à Solesmes, mais ne concernant strictement que le chant grégorien. C’est avec résignation et crainte que j’entrepris mes premiers essais de composition en français, puis en wolof.

En 1967, à la suite d’un voyage en France, et à la demande des personnes auxquelles je faisais entendre timidement notre tout premier enregistrement amateur réalisé par moi-même, nous avons sorti notre premier petit disque, qui comprenait 6 chants en wolof et quelques psaumes en français. Ces premiers essais furent accueillis, à mon grand étonnement, avec beaucoup de sympathie par des gens très divers :

• un musicien professionnel, chef d’orchestre à Paris,

• un bénédictin de l’Abbaye d’Orval en Belgique,

• un dominicain français qui écrivit pour nous dans  » La Vie Spirituelle « , le Père Gelineau et son équipe de liturgie qui composaient alors des chants pour les paroisses,

• les moines de Solesmes, dont les appréciations favorables furent pour moi une sorte d’examen de passage,

• enfin des ingénieurs et techniciens de la firme Decca dont plusieurs étaient de mes amis, puisqu’ils venaient chaque année à Solesmes pour les enregistrements.

Il est important de nous rappeler ce qui suscitait pour l’ensemble de ces personnes si diverses par leur milieu et leur culture, leur sympathie pour ces chants nouveaux, qui contrastaient avec ceux qu’on entendait après le Concile dans les paroisses. Quel interêt trouvait-on dans les chants de Keur Moussa à cette époque lointaine ? C’est important de se le demander pour voir si nous avons gardé ce quelque chose qui suscitait les encouragements de nos amis d’alors après 40 ans d’existence.

C’était en 2004 que parlait Frère Dominique Catta, qu’en est-il 15 ans plus tard ?

1. L’INTERIORITÉ

Voici quelques lignes extraites d’un article que le chef d’orchestre parisien dont je vous ai parlé, écrivit au retour d’une messe à Keur Moussa dans  » La Revue des deux Mondes  » : « A une trentaine de kilomètres de Dakar, des pères bénédictins se sont installés en pleine brousse, créant une communauté où le travail se partage avec la prière durant les longues heures des journées tropicales. Lors d’un office dominical, j’ai pu entendre ce que donne les sonorités de la kora et du tam tam de Keur Moussa se mêlant en une sorte de tissu moelleux et souple, aux voix pures des moines noirs et blancs, dont les mélismes font appel à une double tradition, grégorienne et africaine sans jamais trahir l’une au profit de l’autre, en en faisant un choeur, qui est le même sous toutes les latitudes. Des disques portent le témoignage d’un effort d’oecuménisme musical unique en son genre». En parlant du choeur, ce musicien va à l’essentiel, car le choeur c’est l’intériorité, et l’intériorité c’est le chemin de la prière, tant pour les exécutants : les moines, que pour ceux qui écoutent et veulent prier avec eux.

Or cette intériorité du choeur n’a pas été inventée par les fondateurs de Keur Moussa. Elle se trouvait dans le chant grégorien que nous pratiquions alors à Solesmes. C’est cela, l’héritage de nos Pères dans la foi. C’est de Solesmes que nous avons reçu ce talent, (au sens de la parabole évangélique des talents) talent que le Seigneur nous a confié pour le faire fructifier jusqu’à son retour. Non seulement nous n’avons pas le droit d’enfouir ce talent, mais nous n’avons pas à le perdre sous la pression du monde extérieur de plus en plus sensible avec la présence souterraine ou bruyante des médias.

Comment définir ce talent, ce charisme d’intériorité ? Je vais me servir d’une image très simple qui m’est venue à l’esprit en regardant les ouvriers charger les gravats et les pierres dans leur camion. Ils lancent leurs pelletées de pierres qui tombent lourdement dans le camion. Comparez leur geste avec celui du thuriféraire qui encense le choeur. Lui aussi a le geste de lancement, mais au lieu de lancer des pierres, il lance de la fumée d’encens qui s’élève en volutes bleutées qui disparaissent dans l’air comme de légers nuages. C’est l’image de deux façons de chanter. L’une est celle de la force brutale, qui donne l’impression pénible d’agressivité parce que le chant s’écrase comme les pierres qui tombent dans le camion. L’autre est celle de la maîtrise de la force vocale s’élevant dans les hauteurs ou descendant pour se poser au sol.

Vous sentez bien que seule la deuxième façon porte à la prière, parce qu’elle est dirigée par l’Esprit. La première donne une impression de lourdeur et de violence qui ne s’élève pas vers le haut. Et c’est cela ce que nous avons reçu de Solesmes, et que nous avons, sans même y penser, transposé dans nos chants « inculturés » en français ou en wolof.

Parmi les enregistrements les plus anciens, voici le Réponds de l’Avent : « Je regarde au loin », dont la composition m’a été inspirée un jour de promenade au bord de la mer à Toubab-Dialaw. Vous avez en effet dans ce chant quelque chose qui traduit le mouvement des vagues à condition que vous respectiez cette loi de la maîtrise de la voix dans les sommets. Ecoutez-le avec cette image des vagues qui arrivent en se gonflant vers le rivage : elles se creusent et toute leur force se situe au bas, au creux de leur courbe vers le haut. Mais la masse des eaux ainsi soulevée s’effrite au sommet en fines gouttelettes d’écumes, sans violence, même si la voix s’intensifie par moment, lorsque les paroles le demandent et que la mélodie le souligne.

On peut faire des commentaires semblables sur d’autres chants, avec d’autres images que celle des vagues : « Viens, Seigneur, car notre coeur est sans repos… ». Dans ce chant c’est plutôt l’image de l’aigle qui se jette du haut d’un arbre en planant dans les airs.

« Ne crains pas, je suis avec toi ». Ici, je pense à l’enfant bercé par sa mère.

Bien entendu, il ne faut pas appliquer tout cela matériellement. Nous avons dans le répertoire, des chants qui demandent à être traités avec une certaine violence. Par exemple, le Réponds : « Veillez et priez, tenez-vous prêt !  » Ici c’est à la fois le texte et la musique qui inspirent cette violence. Pensez au geste de sainte colère du Seigneur chassant les vendeurs du Temple : violence certes, mais non agressivité.

Comme on le voit, la musique peut devenir un langage, même si on ne comprend pas toutes les paroles, mais à condition que l’intériorité soit toujours présente dans la force comme dans la douceur.

2. LA FUSION DES VOIX

Après avoir parlé de l’intériorité, je voudrais attirer votre attention sur un facteur important qui doit caractériser la prière chantée : la fusion des voix.

La fusion des voix relève de la technique de la pose de la voix. Nous avons eu ici plusieurs sessions faites par des personnes qualifiées. Peut-être avons-nous oublié leurs recommandations. Pour ma part, j’ai été marqué d’abord comme les anciens dans les années 1983 ou 1984 par François Combaud. Ce que j’ai retenu surtout de lui, c’est le rôle indispensable des muscles abdominaux pour obtenir un chant qui ne sorte pas des muscles de la gorge. Les abdominaux sont comme les soufflets qui poussent le vent dans les cordes vocales et les fait vibrer, comme le vent fait vibrer les cordes d’une kora placée en courant d’air. C’est très important d’abord pour éviter la fatigue des cordes vocales, qui certes, sont en tension, surtout dans les aigus, mais sans faire d’autre effort que de les maintenir à la bonne justesse. Ensuite, parce que cette façon de porter l’effort du chant, non sur la gorge mais sur les muscles du ventre, qui doivent comme le soufflet du forgeron, faire partir l’air progressivement aussi longtemps qu’il le faut, cette façon supprime l’agressivité des voix de gorge, et conditionne la fusion avec les autres voix, si elles font la même chose.

J’ai aussi beaucoup reçu du professeur Tomatis. Lui, faisait travailler ce qu’il appelait la voix osseuse, c’est à dire la voix qui résonne dans toute la caisse osseuse de l’homme, et pas seulement dans la face du visage, et surtout pas dans le nez. Ceci est facile à réaliser à partir d’exercices chantés à bouche fermée.

Je m’efforcerai de vous faire chanter à bouche fermée au début de chaque classe de chant, comme je le faisais dans les classes au noviciat ».

Frère Dominique CATTA

 

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